8 Juin 2015
Matthieu Chedid -M- s'est produit au Bikini (Toulouse - Ramonville) et en famille le 5 juin 2015
"On invente des chanteurs", chuchotait Andrée Chedid. Aphorisme étrange, silencieux, qui interroge, qui provoque l'imaginaire, aux sens multiples et poétiques. Phrase marquante, qui pourrait à elle seule résumer le spectacle que propose actuellement la famille Chedid, en tournée dans toute la France jusqu'en septembre prochain et dont l'aventure s'achèvera sous la coupole de l'Opéra Garnier lors d'un spectacle final qui sera filmé et retransmis dans de nombreux cinémas de France.
"On invente des chanteurs". On invente des artistes. 4 êtres singuliers, partageant l'amour des mots, des rythmes, et un regard reconnaissable entre tous. Partageant un nom. Et bien davantage.
Le 5 juin 2015, Louis Chedid se produisait au Bikini de Toulouse, en groupe pour la première fois. Non pas accompagné d'amis, de musiciens complices de 30 ans, mais de trois de ses quatre enfants : Matthieu (aka -M-), Anna (aka Nach) et Joseph (aka Selim). L'ainée de la fratrie, Emilie, réalisatrice, participera aussi très bientôt à cette respiration familiale par le biais d'une captation prochaine.
2yeuxet1plume a pu assister à cette date toulousaine, la shooter et en rencontrer les acteurs. Impressions et ressentis réunis dans un billet baroque et par trop grandiloquent (vous voici prévenus !).
La première partie choisie par la "Belle famille" Chedid, comme la désigne elle-même l'artiste, très habilement, est une figure connue des familiers de Louis et consorts : Chat alias Charlène Juarez qui, accompagnée de son frère Pierre (encore une histoire de famille ...), nous propose quelques uns de ses titres pops et aériens, dont plusieurs ont été arrangés avec la complicité de Joseph Chedid.
Reprenant American Boy d'Estelle (dans une version totalement remodelée, baptisée Mon beau parisien et dont le clip frais est à découvrir impérativement !) ou entonnant un lancinant I Love You, Chat, qui s'est notamment produite en première partie des Brigitte, introduit avec douceur et subtilité la soirée toulousaine.
21h15. Le noir se fait. Un large panneau tendu de blanc pivote. En émerge Anna, la plus jeune artiste de la famille, nimbée de fumées vaporeuses qui, s’installant derrière un clavier, entonne l’un de ses titres, Ce qu’ils deviennent, paru début 2015 sur l’album éponyme, Nach.
Après quelques mesures, un couplet, un refrain, Joseph, le frère cadet, rejoint sa petite sœur, guitare en bandoulière, laissant déjà deviner une folie douce et un humour absurde qui séduiront sans coup férir un public alternant, tout au long de la soirée, rires et applaudissements nourris.
Applaudissements nettement intensifiés lorsqu’apparaisent successivement Matthieu, muni d'une basse, et Louis, pourvu de son habituelle guitare accoustique, réhaussant de leurs talents l'accompagnement musical du titre d'Anna.
C'est que la foule rassemblée est, dans son ensemble, composée d'admirateurs de ces deux artistes confirmés, curieux toutefois de découvrir l'univers des deux plus jeunes rejetons de cette, décidément, étonnante famille.
Etonnante car, à mesure que les titres s'enchainent, tantôt déjantés (irresistible Paranoïa, énergique et loufoque titre de Joseph sur lequel Matthieu s'éclate à la mandoline), tantôt touchants (Anne ma soeur anne, la poignante chanson de Louis, dont l'actualité est mise en lumière par la plus récente création de Matthieu, Comme un seul Homme, composée à la suite des évènements de janvier 2015), tantôt décalés (lorsque Louis se fait Machistador), tantôt inattendus (comme sur la version a Cappella du Mojo de Matthieu) ... il semblerait n'entendre qu'un seul et même répertoire.
Comme si les oeuvres des uns et des autres étaient avant tout chedidiennes. Comme si cet adjectif était réel, porteur de sens. Une même sensibilité, fantaisiste, en décalage parfois ... un même sens de la métrique ... une même poésie ... un même usage des non-dits nous surprennent, la cohésion d'ensemble l'emportant sur la dissemblance qui aurait pu être redoutée de prime abord.
Sélim électrise le public de sa folie douce dès les premières notes de Paranoïa, que -M- accompagne à la mandoline
Certes, les caractères, les attitudes, les univers, les propositions artistiques de chaque membre de la famille Chedid sont toutes uniques et clairement identifiables. Louis est davantage bonhomme, dégageant une force tranquille apaisante, s'amusant de l'énergie débordante de ses fils. Anna est toute en subtilité, en finesse, en contrôle parfois aussi, et sa voix chaleureuse et intense contraste avec la couleur vocale des 3 hommes qui l'accompagnent. Matthieu est charismatique, puissant et endosse, avec retenue, l'indispensable rôle de chef d'orchestre, les autres guettant, dans son langage corporel, le signe, le geste marquant la fin d'un pont ou d'un morceau. Joseph vit la scène sans complexes, s'y amuse et amuse par ses attitudes drôlatiques, sa maitrise instrumentale tant derrière les futs que derrière six cordes, par son art roublard de la boutade (on comprendra vite, au travers de mes mots, ma totale admiration pour l'univers proposé par Sélim, à découvrir en visitant sa Maison Rock).
Mais pour autant, le liant est évident entre les morceaux proposés, presque égalitairement issus des répertoires de chacun des 4 artistes présents sur scène. Et la programmation retenue semble définie à dessein.
Les 4 Chedid dialoguent avec l'absence et le silence (dans l'Amour éternel de Sélim, chanté par Louis, dans Les absents ont toujours tort, de et par Louis, dans l'émouvant Délivre de Matthieu, interprété à 4 voix), crient leur amour de l'amour (au travers du Coeur de Pierre de Nach, de l'inénarrable Je dis aime de Matthieu, du très juste On ne dit jamais assez aux gens qu'on aime qu'on les aime de Louis), convoquent l'absurde et l'insouciance (Ver de Terre de Louis, Paranoïa de Selim, Machistador de Matthieu), interrogent le monde, le passé et l'avenir (Mama Sam de Matthieu, T'as beau pas être beau de Louis, Ode aux envies de Selim, Ce qu'ils deviennent de Nach), etc.
Semble émerger de ce tout, à l'origine disparate, un sens commun, au travers d'arrangements à 4 mains et à 4 voix harmonieusement superposées. Comme un grand œuvre d'interrogations continuelles sur l'union de l'Homme et du monde, de l'Homme et du soi. Comme un plaidoyer pour la vie - une vie défaite des questionnements qui entravent l'épanouissement, une existence dans l'insouciance - sans rien ignorer de sa précarité. Le tout porté par des vers d'une grande fluidité.
Comment ne pas percevoir, en filigrane des titres soigneusement sélectionnés et interprétés, l'âme et la plume d'Andrée Chedid, dont l'œuvre entière a été guidée par les mêmes thèmes, par les mêmes exigences ?
"On invente des chanteurs" disait-elle. Elle ne se trompait pas. En démiurge et sans rien préméditer, elle a inventé ces 4 artistes là, les a nourris à la puissance de son âme poétique. C'est elle qui nous est, en transparence, donnée à découvrir par cette tournée qui, peut-être inconsciemment, rend l'hommage le plus délicat qu'il soit possible d'imaginer à l'une de nos plus prolifiques femmes de lettres. Comme si Par-delà les mots, le Cœur et le temps ... il nous était donné de voir l'œuvre d'Andrée Prendre corps, Derrière les visages et les Rythmes d'un concert dépouillé, véritable mise à nue familiale bâtie autour d'un Jardin perdu.
Visuel de la tournée de la Famille Chedid - Que scrutent-ils, les regards tournés si hauts ? Qui invoquent-ils ?
J'aurais donc pu - peut-être dû - évoquer le détail des arrangements proposés, le communion du public et des artistes, la simplicité peut-être trop grande de la mise en scène, les qualités de multi-instrumentistes désarçonnantes des uns et des autres, le chaleur suffocante baignant la salle ...
J'aurais pu vous livrer ici les quelques excitantes nouvelles confessées par Matthieu Chedid en fin de soirée, autour d'un mystére glacé, quant à ses projets à venir, si nombreux et divers ... nouvelles à partager, qui sait, lors d'un prochain billet. Mais je serais passé à côté de l'essentiel. D'un ressenti tout personnel et pour autant indispensable. De l'âme d'un spectacle aux multiples mises en abîme, plus ou moins volontaires mais si troublantes.
Lorsqu'à votre tour vous partagerez cette expérience unique, lorsque vous assisterez au spectacle donné par ces 4 artistes là, tels les 4 cordes d'une basse ... cherchez-en le corps plein. Le bois qui en fait l'unité.
Et, par-delà, la singulière histoire d'une famille-poésie dans laquelle, inexplicablement ... on invente des chanteurs.
Percez, et vous verrez !
ALBUM PHOTO DE LA SOIREE DU 5 JUIN 2015 AU BIKINI AVEC LA FAMILLE CHEDID
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Aud 27/08/2015 23:06
Meremptah 30/08/2015 15:56
genevieve farina 14/06/2015 23:50
genevieve farina 14/06/2015 23:48
Meremptah 15/06/2015 07:10
Gaëlle 14/06/2015 20:41
Gaëlle 14/06/2015 23:26
Meremptah 14/06/2015 20:50
Cécile 10/06/2015 22:15
Meremptah 10/06/2015 22:42